-De quoi as-tu le plus peur?

-Que les autres mes voient comme moi je les vois. 

 

 

À toi, mon écorché,

Je t’aimais. Parce que tu te levais et marchais sur les tables des bouges avec le pas conquérant d’un homme sans faille. Parce que tu disais de leurs poèmes qu’ils avaient les couleurs de l’ennui et que tu les regardais avec mépris. Parce que tu feignais d’être éclairé sur tout sans ciller. Parce que tu suçais la moelle de la vie avec l’acharnement d’un enragé. Parce que tes yeux implacables pleuraient en considérant ceux qui nous entouraient: bétail de la misère. Parce que tu avais ce besoin maladif de marcher toujours plus, toujours plus loin. Parce que tu étais blessé et révolté. Parce que ta guerre à toi était spirituelle. Mais aussi parce que tu étais désinvolte et cruel avec ceux qui t’aimaient.

 

Tu nageais en eaux troubles; avec la rage de l’air moderne et la détermination de ta génération, mais tu avais aussi cette poésie fragile et meurtrie venue d’un autre temps. D’un temps que je ne connaissais pas et que tu étais seul à avoir exploré. J’aimais les mots que tu crachais sur le papier. C’était un cri primal, une hilarité hystérique et bestiale qui trouvait naissance dans tes entrailles et jaillissait avec la fermeté d’un coup de poing. Je t’ai admiré pour ça; pour cette partie de toi que tu rendais inaccessible. Je ne me pardonnerai jamais d’avoir blessé ta main, celle de laquelle naissaient tous ces mots merveilleux. Et pourtant Arthur. Pourtant, j’ai aimé ce sang, et cette balle qui a traversé la chaire de ta paume. Je me suis délecté de ton visage décomposé par l’horreur et la douleur. De tes traits tordus à tes yeux embrumés; j’ai tout aimé de cet instant. J’en ai terminé avec mon humanité. Grâce à toi Arthur. Cette balle fichée dans ta paume n’était qu’une blessure de plus à toutes celles qui déchiquetaient ton âme. Et puis tu m’as laissé; avec mes chaines aux pieds et mes remords écœurants.

 

Arthur, je relis les mots que je t’adresse. Ils ont un goût que je ne leur connaissais pas. Le goût de l’amertume. Ils enflent dans ma poitrine, brûlent ma trachée, emplissent ma bouche et se déversent… je te déteste.  

 

 

 

(Cette lettre n’a jamais fait l’objet d’une correspondance entre Verlaine et Rimbaud.)  

 

"La seule chose insupportable, c'est que rien n'est insupportable."